LES PIERROTINES

Photos
LA PROPHETIE D’UNE PERMANENCE
Les Pierrotines totems d’Anabell Guerrero

Patrick CHAMOISEAU
Quelque chose de magique émane des femmes-totems d’Anabell Guerrero. Leur démesure permet un dépassement immédiat de leur réalité de femmes, pour nous installer dans ce qu’elles ont de solennel, de digne, de profond, de chargé d’histoires, de mémoires, de rêves, de déceptions, d’espoirs.
Anabell parvient toujours à capter mieux qu’une longue silhouette : une concentration de vie qu’elle amplifie infiniment. Cette amplification ne peut que fasciner le regard et nous faire découvrir ensemble tout à la fois : des individualités élevées au rang des archétypes et une rémanence de ce que le féminin a de plus émouvant, et donc de plus puissant.
Les pierrotines n’échappent pas à cette règle.
Rien de leurs costumes créoles ne touche au folklorique. Leur allure traditionnelle (cette ciselure graphique, cette matière) nous signale mieux qu’une vie ancienne, bien plus qu’un temps noyé par de la nostalgie, mais une permanence du plus humain dans cette symbiose entre une manière de s’habiller et un bel art de vivre -- je veux dire : de se tenir en endurant.
Nous ne sommes pas dans l’imagerie des matadors tellement popularisée sur Saint-Pierre. Encore moins dans la captation des légendaires doudous des vieux débarcadères où roulaient les tonneaux. Le noir et blanc fait cendre et roche, le grisé fait matière qui aspire les lumières et magnifie les anciennetés. Le noir et blanc, sensible à toutes les variations des moments du soleil et des instants de lune, est véritablement le grand signe esthétique de Saint-Pierre, sa texture, sa substance, sa contraction graphique. Anabell nous précipite en face de personnes, singulières, irremplaçables, hors temps, hors âge, en rides juvéniles et jeunesse ancestrale, qui nous livrent ce que Saint-Pierre a de profond, de vivace et de plus résistant.
La célébration ici n’est pas celle du passé : elle est de l’ordre des prophéties. Elle murmure (sur les vieilles ruines et les murs éprouvés) que la force des femmes est là, intacte dans le déboulé des temps et des générations, portée à cette saveur nouvelle qui se souvient des sucres chauffés par le feu des pavés.
Dans le scintillement du regard d’Anabell, les pierrotines (qui maintenant nous regardent) signalent le socle d’une longue renaissance. Elles sont maintenant du quotidien de la ville, vivantes dans l’actuel fil des jours, en signes et en insignes -- en devenir aussi.